J’aurais
aimé faire son deuil comme il le faut. J’aurais aimé hurler, crier et pleurer au moment qu’on m’a annoncé sa mort. J’aurais aimé pleurer avec sa famille,
préparer les funérailles et arranger les fleurs sur sa tombe. J’aurais aimé
revoir dans les yeux de son fils, sa jeunesse qu’il m’a tant décris et qui m’a
tant fait rêver.
Hélas ! toute seule, je ne suis pas à Paris pour faire tout ça. Je suis, à Tunis, dans un
café, entourée des gens inconnus, indifférents à mes larmes et ma perte. J’aurais
aimé que la terre arrête de tourner juste comme un signe de respect à ma
douleur. J’aurais aimé que le café perde sa senteur comme un signe de
soumissions à ma colère. Mais, ici, tout est indifférent à mes maux. Le ciel
est resté bleu, le soleil brille encore et les oiseaux chantent joyeusement
malgré ma peine.
La dernière fois, quand je l’ai vu, j’ai
renoncé à faire des adieux. Pourtant, tout me disait que c’était la fin ou
presque. J’étais à Paris, et j’ai vu comment son état de santé s’est détérioré
subitement, du jour au lendemain.
Une journée avant mon départ à Tunis. Alain m’a invité au déjeuné avec sa famille dans un restaurant très convivial. J’ai ramené les gâteaux que maman a acheté pour lui et Josianne (sa femme). Et il m’a ramené des livres que lui et Nathalie (sa fille) ont sélectionnés pour nous.
Il était souriant comme d’habitude et nous avons parlé de la révolution et des rêves. Il pensait que la Tunisie sera, certainement, meilleure grâce à sa jeunesse « moins arrogante et plus intelligente que la jeunesse française » comme il l’a toujours pensé.
Tout était, en apparence, normal sauf sa couleur de peau
qui devenait, les derniers jours, jaunâtre. Il savait très bien que c’était la
fin et pourtant il continuait à me parler de ses projets pour le journalisme.
Un livre, deux formations et plusieurs articles sur son blog. Je me taisais.
J’étais juste concentrée sur une seule chose : garder le sourire et le naturel.
Ne pas lui montrer la tristesse qui me ravageait de l’intérieur. Je ne sais pas
si mes grimasses m’ont trahi ou si l’ambiance, déjà sinistrée, nous a trahi
tous. Nous qui voulons malgré tout partager quelques moments de bonheur et d’intimité
…
après le déjeuné, on a décidé d'aller chez lui pour un petit café. Alain m’a fait écouter la musique soufie qu’il a achetée, lors de sa dernière visite en Tunisie, du Palais Ennajma Zahra à l’occasion d’un concert du chant soufi. J’ai pris une feuille et un stylo et j’ai traduit quelques titres à sa demande. Il aimait les nouvelles sonorités qu’il venait de découvrir. Lui, le grand amateur des sons (lien de son audioblog).
après le déjeuné, on a décidé d'aller chez lui pour un petit café. Alain m’a fait écouter la musique soufie qu’il a achetée, lors de sa dernière visite en Tunisie, du Palais Ennajma Zahra à l’occasion d’un concert du chant soufi. J’ai pris une feuille et un stylo et j’ai traduit quelques titres à sa demande. Il aimait les nouvelles sonorités qu’il venait de découvrir. Lui, le grand amateur des sons (lien de son audioblog).
Il m’a montré quelques photos de ses voyages aux USA, en Afrique et en Asie. Amoureux
de voyage et de découverte, Alain et Josianne ont planifié un long voyage en
Amérique par voiture. Il a tout préparé : la location de voiture, les
billets d’avion, l’itinéraire, son petit appartement parisien qui devrait
rester fermé le temps de quelques semaines et sa maison de compagne qui
nécessite un entretien durant l’hiver. Mais la mort était plus rapide.
J’ai bu mon café, silencieusement. Josianne
était stressée. Elle s’éclipsait de temps en temps dans la cuisine pour étouffer
ses gémissements. Nathalie a préféré aller dormir dans sa chambre pour ne plus
voir son père assumant son rôle du mourant. J’hallucinais, Alain était jaune. Et
je savais que c’était la couleur de la mort. Il était en plein combat avec la
mort. Une mort jaune glauque et plus forte que notre volonté de le garder parmi
nous. Ce n’était pas de la piété, je ressentais plutôt de l’indignation. Cet homme
n’avait pas le droit de mourir. Il avait encore des choses à dire et de l’amour
à donner.
La conversation que nous avons décidé
de mener malgré le chagrin était coupée par des silences sourds à nos efforts
de continuer à faire semblant. A contre cœur, j’ai décidé de rentrer. Alain,
toujours souriant, a continué à me parler de sa prochaine visite à Tunis. J’aurais
aimé le croire et tuer, de mes propres mains, son destin fatal. En dessinant sur mes lèvres
son même sourire révolté et moqueur, j’ai
finalement fait un simple au
revoir par respect à sa volonté de survivre.
En bas, dans la rue, sous la fenêtre de son appartement, j’étais
seule à mélanger mes larmes avec les gouttes de la pluie qui s’acharnait sur
moi. J’aurais aimé lui dire combien sa perte sera difficile. Pourrons- nous
dire à un vivant que sa mort sera pénible à supporter ?
Je ne réalise pas encore que je dois finir
cette note avec « Alain! repose en paix ! On ne va jamais t’oublier ! »
J’attends toujours qu’il me lise et corrige, discrètement, mes fautes d’orthographe.
J’attends toujours qu’il m’envoie ses photos de vacances avec Josianne … qu’il
me file des liens intéressants sur le journalisme et la politique… qu’il me
demande de mes nouvelles et que je lui explique les raisons de ma dépression
permanente.
Désormais, Je suis seule plus que jamais. Je
suis triste et je le resterais tant que je n’ai pas pu faire son deuil
convenablement.
« la vie d’Alain est le cumul de 35
ans de passion pour le journalisme. Il est pionnier du webjournalisme depuis
des dizaines d’années. Sa passion, sa rigueur et sa créativité dans le
journalisme inspire plusieurs dont je faisais partie depuis plusieurs années. Je
n’ai jamais réussi à cerner ses compétences et savoir faire dans le domaine
journalistique. Je me rappel que j’ai passé plusieurs jours à essayer d’assimiler
ses analyses sur son blog (journalistique) et ses livres.
(Biographie sur obsweb.comhttp://obsweb.net/2012/09/21/hommage-a-alain-joannes-penseur-du-journalisme-numerique-daujourdhui-et-de-demain/ pour lui rendre
hommage) »