mardi 26 juin 2012

Alerte – Tunisie : un athée (Jabeur Mejri) risque la mort en prison



Hier, 26 juin 2012, Jabeur Mejri (un des deux athées de Mahdia) a été condamné à sept ans de prison et demi par la cour d’appel de Monastir. Ghazi Béji, son partenaire est toujours en fuite en Roumanie…(voir détails)

L’affaire ne trouve pas le soutien souhaité par la société civile et les activistes, défenseurs de liberté d’expression en Tunisie. En effet, mis à part « Débat Tunisie » et quelques cyber-activistes indignés, l'opinion public ne rend compte vraiment du drame que vivent ces deux jeunes tunisiens. 

 Copyright Débat-Tunisie

La semaine dernière, nous étions contactés (Olfa Riahi et moi) par Ghazi. Il a été tabassé et mordu au ventre par un islamiste palestinien au camp de réfugiés en Roumanie. Il a été transféré à l’hôpital, au même moment que des réfugiés ont manifesté pour interdire son retour au camp. 

Le directeur du camp a décidé de garder Ghazi dans un appartement isolé, le temps de trouver une solution à ces problèmes. 

Entre temps, Jabeur (et d’après un entretien qui nous a réunis avec l’imam salafiste, de Mahdia) court un risque énorme en prison. En effet, et comme le dit le salafiste, chaque nouveau prisonnier doit déclarer le motif de son inculpation et sera traité par les détenus en fonction de ce motif. « Et au moment où Jabeur va dire qu’il a insulté Dieu et son prophète aux autres prisonniers, sa vie se transformera en un vrai enfer… » Précise l’imam qui ne cache pas la jouissance du vainqueur. 

Autrement dit, Jabeur risque sa vie dans la prison. Avec la particularité du sujet (jugé sacré ou encore tabou) sur lequel il était jugé et la mentalité générale qui prône et défend le meurtre au nom de Dieu, en Tunisie, Jabeur peut être tué ou torturé au nom de Dieu dans l’impunité totale des acteurs (qui peuvent être des détenus ou des fonctionnaires d’Etat). 

Les prisons tunisiennes restent jusqu’à nos jours, des lieux mystérieux, entourées d’histoires hallucinantes de torture, de meurtre et de souffrance. Nous n’avons aucune idée sur ce qui se passe réellement dans nos prisons. Nous n'avons que des témoignages de quelques centaines de prisonniers politiques traumatisés jusqu’aujourd’hui de ce qu’ils ont vu et vécu. 

Le peu de révélations sur les pratiques criminelles de l’Etat dans les prisons tunisiennes reste, malheureusement, lié à l’époque du régime de Ben Ali. Aucune enquête ni étude a été effectuée sur les prisons tunisiennes post-révolution. (Et ça ne sert à rien de parler des émissions télévisées de propagande diffusées sur hannibal TV ou autres et qui n’ont rien à avoir avec la réalité des choses) 

(voir le reportage de France Culture et mon témoignage, publiés en 2011) 

Il faut aussi rappeler que les meurtres commis entre le 14 et le 17 janvier 2011 dans plusieurs prisons tunisiennes n’ont pas été suivis d’une enquête. La prison de Monastir a compté une dizaine de morts, tués par armes à feu. Le mois dernier, les  familles des détenus tués, se sont rassemblées, le 10 mai 2012,  devant le siège de la direction générale des prisons et de la rééducation, pour demander l’ouverture d’une enquête sérieuse sur l’affaire.  (voir l'article)

L’absence de toute enquête administrative dans  la prison de Monastir et dans les autres prisons, montre bien la continuité de l’impunité en Tunisie. Et avec le refus de l’Etat de mettre en œuvre un processus de réforme transparent dans les prisons, nous devons nous inquiéter du sort de Jabeur, abandonné sans considération, aucune, de son statut de prisonnier politique. 

Prisonnier politique parce que les lois avec lesquelles, les deux athées de Mahdia, ont été jugés sont les mêmes que Ben Ali a utilisé pour emprisonner les opposants politiques. 



Et pourtant, nous pouvons sauver Jabeur Mejri.

 Il suffit de lui rendre visite, de lui envoyer des lettres de soutien et de suivre les procédures nécessaires afin d’obliger la direction des prisons de lui garantir un minimum de sécurité. 

La vie de Jabeur dépend de Nous tous ! S’il sera exécuté pour ses convictions personnelles, la porte serait ouverte, pour des années, à des massacres pareils. Si Jabeur se suicide ou on lui colle un suicide, nous serons les premiers responsables de ce drame … 

n’attendons pas un miracle et ne fermons pas les yeux ! 

samedi 16 juin 2012

À Karim Alimi : pourquoi disparaître ?


C’est un fait divers.  « Karim Alimi s’est donné la mort, ce samedi 16 juin à son domicile à l'Ariana… était frustré face à la situation du pays et avait même parlé de son suicide, chose que son entourage n'avait pas pris au sérieux » … 



Moi, je ne l’ai jamais connu ce Karim. Mes amis l’ont connu et m’ont informé via facebook de sa mort.  Lui, peut être, m’a connu … mais, à part une demande d’amis qu’il m’a envoyé avant sa mort… il y a rien entre nous, sauf … un pays qui déprime. Un pays qui nous fait mal … 

 J’écris ces lignes de Kasserine, la ville sinistrée de la Tunisie. Kasserine qui me rappelle une amie yéménite activiste qui disait en décrivant les villages de son pays « le Dieu n’est jamais passé par ici … la grâce de Dieu n’a jamais connu ces lieux… ». 

Pour nous, chère amie, c’est différent ! le sacré nous a tués. Il nous a massacrés … le sacré nous tue encore… par des armes à feu … par des barbes et des promesses d’un paradis … oh combien lointain et pauvre en humanité …

 (Chez Mabrouka Mebarek, mère du premier martyr à Kasserine) 

Elle pleure et me montre, pour la énième fois, la photo d’un visage déformé. Lui aussi est mort. A l’époque, c’était aussi un fait divers … Mohamed Amine Mebarki tué, le 8 janvier 2011, par … une bombe lacrymogène … sacrée.

 C’était le jour où le sacré sur terre a ordonné de tuer.

Aujourd’hui, au nom d’un autre dieu, on donne l’ordre d’oublier …

Elle pleure … puis se tait. Rien n’a vraiment changé … sauf le sacré et le paradis qu’on nous promet.

Karim, je le connais. Je l’ai vu à Kasserine, à Siliana, à Sidi Bouzid, à Gafsa, à Gabes et à Tunis … je l’ai vu dans les yeux malheureux qui attendent une justice. Et elle ne vient jamais … je l’ai vu dans les cadavres de ces insoucieux de la vie, de la mort et des menaces télévisées … je l’ai vu dans les cris qu’ils ont essayé d’étouffer … dans les vidéos qu’ils ont tout fait pour effacer  ... Je l’ai vu en moi… déprimé et consommé. Je l’ai connu et je continuerais à le connaître sans le regretter …

Karim a le pouvoir de défier dieu. Il a le courage de dire non à la mort. Karim a pris la décision de … disparaître et de créer son paradis. Karim a ce que nous n’avons pas forcément.
Il a la liberté de rêver d’un paradis propre à lui… un paradis qu’il a choisi …

Et loin du sacré, très loin de cette peur qui vous paralyse et qui nous tue,  le jour où vous comprendrez les pourquoi du « disparaître », vous cesserez peut être de classer notre suicide dans les faits divers.



jeudi 14 juin 2012

Tunisie: le Ministère de l'Intérieur tue encore


(lire article qui explique le cadre de cette affaire) 

Comme tous les tunisiens sur facebook, j’ai vu hier, l’information de la mort de Fahmi par les balles de la police, le jour du mardi 12 juin 2012. Cette annonce m’a choqué surtout que les confrontations entre les manifestants et la police, à Sousse, ce jour là ne méritaient pas l’utilisation de la force extrême. 

De ce fait, il devient évident de poser les questions suivantes : qui est le responsable de ce meurtre ? Dans quelles circonstances fahmi a été tué ? La justice ou le procureur de la république ont-ils entamé une enquête dans cette affaire ? Et aussi, qui est ce jeune « barbu » Fahmi ?
En suivant sur facebook les commentaires des internautes,  j’ai réussi à trouver ce témoignage : 




Du frère de son ami jusqu’à son ami, Ala Ghali, j’ai pu contacter, finalement, par téléphone, Adel  (médecin) le grand frère de Fahmi. Âgé de 22 ans, Fehmi Ouni est un étudiant en 1ère année ingénierie informatique à Sousse. Il est originaire de Tataouine (centre ville). Il vient d’une famille modeste. Un père handicapé et en chômage. Une mère, femme au foyer. Une sœur diplômée mais en chômage et deux frères (un en France et un  autre médecin à Tataouine). « Notre famille est conservatrice mais pas du tout extrémiste. » rajoute Adel pour décrire la famille du défunt. 

Le témoignage le plus important était de son ami Ala Ghali. Il partageait avec Fehmi le plus clair de son temps à réviser les examens du contrôle à la fac. « Il était à la mosquée pour la prière du Asr. Il y avait au même moment une manifestation pas loin de la mosquée.  La police était devant la mosquée et a commencé à lancer les bombes lacrymogènes. Je ne sais pas ce qui s’est passé exactement parce que nous étions à l’intérieur de la mosquée. Après, dès qu'il est sortis de la mosquée, Fehmi a reçu deux balles au dessus de son œil gauche. Je l’ai ramené à l’hôpital, Farhat Hachad, alors qu’il était déjà mort. Après, la police est venu le soir vers 9h… » a expliqué Ala avant d’ajouter « Fehmi n’a jamais participé dans les manifestations ni était parmi les casseurs du lundi ».

Muni par un certificat médical, le frère de Fehmi, a précisé que la famille a porté plainte contre le ministère de l’intérieur pour déterminer les responsabilités de la police dans le meurtre de leur fils. Par contre, ce qui reste incompréhensible  est l’intervention de la  brigade de lutte contre le crime, qui d’après Adel a pris l’affaire en main. 

Au même temps, le ministère de l’intérieur fait le tour des médias pour expliquer que ce genre de ce qu’ils appellent « dérives » n’est pas du tout réfléchi ou exprès . En fait, le ministère prétend que les balles lancées en air, par les forces de l’ordre, heurtent la face pour trouver comme destination fatale les corps des manifestants. Une théorie ou plutôt explication que la police essaye de faire comprendre au peuple tunisien depuis le 14 janvier mais qui reste à prouver …
Ainsi, Le ministère de l’intérieur garde ses mêmes pratiques de violations de droits de l’homme et n’applique pas les lois internationales en ce qui concerne la gestion des rassemblements et des protestations populaires. Rappelons que depuis lundi dernier, nous comptons une centaine de blessés graves, des milliers d’arrestations et la mort par balles de Fehmi.  

Faut il aussi rappeler que Ali Larayed, ministre de l’intérieur, appartenant au parti Nahdi (élu pour changer le régime et non pas le maintenir tel qu’il est) a annoncé, le 31 mai 2012, que Les agents de sécurité peuvent, en dernier recours, utiliser leurs armes à feu pour se défendre, dans le cadre de l’application de la loi n°4 de l’année 1969 relative aux réunions, cérémonies, défilés, rassemblements et manifestations, qui laisse aux agents de sécurité la possibilité d’utiliser, en dernier recours, et après avoir épuisé toutes les autres possibilités, leurs armes à feu pour se défendre. 

Sachant que le gouvernement avoue les lacunes de cette loi et son aspect répressif aux droits de l’homme notamment le droit de manifester  (voir article), nous devons poser cette question : 

La manifestation de Sousse (que tout le monde a témoigné de son aspect pacifiste) méritait-elle le recours aux armes à feu ? n’y avait-il pas un autre moyen pour disperser la foule ? 


Un autre et dernier point à évoquer, dans cette même affaire, est l’enquête. Le ministère de l’intérieur n’autorise toujours pas une enquête indépendante et transparente sur les crimes qu’elle commet depuis le 14 janvier. Pire encore, il oblige gouvernement et société civile à accepter les résultats des enquêtes internes souvent pas crédibles et partiales et qui garantirent l’impunité à ses agents et cadres.  

Et pour finir, je voudrais parler encore plus du martyr Fehmi. Selon son frère, Adel, « Fehmi n’avait aucune appartenance politique. Il n’a même pas voté pour Nahdha et n’a jamais fait partie des salafistes. La preuve : il a passé son dernier stage à Tunisair (qui selon lui n’acceptera jamais d’embaucher un islamiste). Il a toujours critiqué l’usage de la religion dans la politique. Et sur ces derniers évènements, il m’a exprimé sa tristesse de ce qu’il a appelé complot contre la Tunisie. » 

 Adel a finalement adressé un message à tous les tunisiens en disant « la Tunisie perd sa jeunesse tous les jours … aujourd’hui c’est Fehmi (un étudiant brillant), demain viendra le tour de plusieurs autres jeunes qui normalement devront faire le futur du pays… »
 Jusqu’à quand la Tunisie restera l’Etat de non droit et de non loi ?