A quelques jours des élections de l’Assemblée Constituante,
la tension à Tunis mente. Après la grande polémique du film
« Persapolice » diffusé sur la chaîne privée Nessma TV, la réaction
assez violente de la Rue, vendredi 14 octobre, a provoqué une partie de la
société civile (artistes, activistes, Partis politiques et indépendants) qui a
organisé, dimanche 16 octobre, une manifestation sous le nom
« a3ta9ni » ou « lâche-moi » pour défendre, selon les
organisateurs, la liberté d’expression.
Cependant, un peu plus loin de Tunis, à juste 100 kilomètres
de la Capitale, d’autres tunisiens ont vraiment la tête ailleurs. C’est la
ville d’Ennfidha. Faisant partie du gouvernorat de Sousse, Ennifidha est plutôt
selon ses habitants « un point d’intersection entre les grandes
villes mais pas plus». Sur un guide touristique, vous pouvez lire « Ennifidha
est une ville ordinaire sans caractéristiques marquantes ».
Au centre ville, près d’une église convertie en musée, on a
installé les panneaux électoraux avec une soixantaine de listes (dont quelques
places vides). En face, quelques jeunes se réunissent au tour d’un café, dans
les mains, des tracts d’une liste qui se présente pour les élections.
« Nous ne connaissons pas tous ces partis qui se présentent pour les
élections. Je ne suis pas très confiant … je sais que rien ne va changer. »
Dit Ahmed, la trentaine, chômeur depuis deux ans. Il ajoute qu’à l’époque de
Ben Ali « les gens de la politique ne savent que faire des promesses de
travail, de stabilité, d’avantages sociaux … mais après, ils disparaissent et
ne tiennent pas à leurs promesses. » lui, il ne va pas voter mais dit
qu’il changera d’avis si l’Assemblée Constituante lui trouvera un boulot.
Alors que Ahmed nous expliquait son point de vue, un homme
dans la même table du café, objecte et insiste à faire entendre sa voix.
« Je ne suis pas d’accord ! La Constituante est une chance pour nous
tunisiens, enfin libres !! » Clame, Mounir (agriculteur). Il ajoute « Avant
nous n’avions qu’un seul parti : le RCD. Aujourd’hui, nous avons la
liberté de choisir entre plusieurs partis. A part, les chômeurs qui sont
septiques par rapport à tout, les citoyens d’Ennifidha sont plutôt enthousiastes
pour les élections». Lui, il vote pour l’Initiative (Kamel Morjane) ou pour
l’UPL (Slim Riahi). Il pense, effectivement, qu’un puissant parti bien friqué
est la seule solution pour faire marcher les affaires et sauver le pays de la
pauvreté. « Ben Ali n’était pour rien, ce sont les trabelsis assoiffés
d’argent qui ont volé le peuple. Donc, nous devons choisir un homme déjà riche,
rassasié et généreux… » Argumente l’agriculteur naïvement.
Un peu loin du café, deux femmes voilées un peu pressées
passent. La plus jeune n’accepte pas d’assouvir notre curiosité. « J’ai
déjà fait mon choix mais je le dit à personne ». dit la jeune avec fierté.
« Je ne fais pas de confiance aux
partis politiques mais je suis optimistes car je sais que la jeunesse
tunisienne peut faire dégager le prochain qui nous ment. » ajoute Souad
avec un sourire malin. Elle travaille dans une usine de chaussures (Une heure
de travail est payée à 500 millimes). Après les huit heures de travail, Souad
traverse des kilomètres avec sa voisine à
chercher l’eau potable. « Les gens de la politique disent qu’ils savent
tout sur nous. Ils n’arrêtent pas de nous faire des promesses. Ça me rappel les
cho3bistes … » explique Souad en gardant son sourire un peu amer.
La petite ville d’Ennifidha, a participé, elle aussi, à la
révolution. Depuis le 14 Janvier, les ouvriers et habitants ont mené plusieurs
actions sur terrain pour sauver la ville de la pollution. « Nous avons
forcé une usine à fermer. Elle polluait nos terrains et notre agriculture. »
Nous explique Mohamed, l’un des jeunes du comité de la protection de la
révolution. « Nous avons fait des sit-in devant l’administration du nouvel
aéroport d’Ennifidha pour l’obliger à
recruter notre jeunesse. » ajoute le jeune. Lui, il préfère bosser à
l’usine de papier qu’à aller s’aventurer
dans les mers de l’Italie comme la plupart de ses amis. « La Tunisie a
besoin de sa jeunesse. Je suis conscient que le changement n’est pas pour
demain mais je suis optimiste. » Explique Mohamed.
Les jeunes du comité de la protection de la révolution
d’Ennifidha soutiennent quelques listes dans les élections. « Nous avons
choisi les listes qui sont loin des idéologies et qui bossent surtout sur les
préoccupations d’Ennifidha. » nous confie Oussema, un membre du comité.
« Nous essayons surtout de convaincre les gens à aller voter aux listes
qui défendent leurs intérêts. » explique-t-il.
Un peu loin du centre ville, nous avons pu découvrir le
grand marché d’Ennifidha. Ici, ce sont les agriculteurs eux-même qui vendent
leurs tomates, pimons et patates. En pleine course, nous avons rencontré
Rabiaa, femme au foyer, mère de trois chômeurs diplômés. Elle vote, « bien
sur », pour Nahdha « parce que nous sommes des musulmans et la
Tunisie est un pays arabe et musulman. » avance Rabiaa comme argument.
Pour elle, l’islam doit être la religion de tous les tunisiens. « Nous
devons avoir un puissant gouverneur qui doit imposer la prière et le jeûne de
ramadan » souhaite la dame en ajoutant « assez de ses filles osées sans
pudeurs qui font tout dans la rue. Assez de l’alcool et de la drogue qui
encouragent les jeunes à chômer… assez des relations sexuelles hors
mariages… ». Concernant la liberté, Rabiaa reste quand même
ouverte. Elle pense que «la liberté
est bonne mais doit avoir des limites ».
En revenant au petit café du centre ville, trois hommes âgés
étaient là à tracter la jeunesse. Casquettes blanches et rouges, tee-shirts
blancs, les logos d’Afek Tounes n’ont suscité aucun intérêt chez les jeunes.
Visiblement, le parti, qui communique énormément à Tunis et dans les grandes
métropoles, ne semble pas très actif à l’intérieur du pays. Plusieurs jeunes
étaient déçus de ne pas voir un candidat d’Ennifidha sur la liste du parti. Les
trois militants ont essayé quand même de recruter et de faire la promotion de
leur liste.
Même si la majorité n’a pas encore choisi son candidat pour
l’Assemblée Constituante, l’espoir et la volonté de voter y est. Un espoir
enrobé de doute, de flou et de confusion mais qui rallume encore la flamme de
la première révolution arabe.
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